dimanche 13 juin 2010

Giovanni Raboni



Dans le noir lumineux/

Ecrirait-on un livre comme si c’était le dernier, ce serait celui-ci : ce regard désenchanté fait de distance et froideur, ce ton désabusé qui sublime la classique mélancolie, ce refus des voies lumineuses du poème pour une suite de tableaux lucides comme des Vanités, lente marche vers la mort, chronique d’une ville qui dévore ta vie. Giovanni Raboni est considéré comme le poète le plus important de sa génération, celle des années soixante en Italie, celle de Pasolini, celle qui se proposait de réduire les écarts entre prose et poésie. Non sans rapport avec la poésie américaine de l’époque, mais avec ce fin scepticisme d’un vieil Européen agrippé à sa cité, Milan la noire, la rouge sang, ville d’un quotidien codé, « forêt mécanique » dans son aura de boom économique. Le mot suit sa démarche du noir au vert d’ombres, et quand des retours se font vers le fonds secret et léger d’une langue amoureuse, cet intime malade n’est qu’une rapide séquence : « Il va tout doucement à la fenêtre/voir s’il neige encore, si continue/dans le noir lumineux, là dehors/le désastre infantile du monde. » Raboni « sait de quel côté plongent les rues/Vers le cœur scalène de la ville. » (Les histoires). Un savoir qui donne ces poèmes en fuite où le lexique de l’industrie devient matière de construction du monde.

(Publiée dans Regards)


Giovanni Raboni, À prix de sang, préface et traduction de l’italien par Bernard Simeone, Gallimard, 17,50 

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